Analyse des dynamiques collectives
Cela fait 4 Ă©tĂ© qu’on part en vacances en groupe d’une dizaine de personnes. L’Ă©tĂ© dernier on a croisĂ© des cyclistes qui avaient fait la mĂŞme chose et puisqu’on est un peu rodĂ© sur l’organisation, ma première question a Ă©tĂ© « comment vous vous organisez ». Ils rĂ©pondent quelque chose comme « ben normal, y’en a qui font les courses et tout ». Et puis quand on discute, on s’apperçoit qu’il y a toujours un pĂ©tage de plomb, du genre, le vĂ©lo dans le fossĂ©, qui se raconte. Et ça fait plusieurs fois que cette discussion revient. Comme dans notre groupe, certe les gens sont patients et hypers gentils, mais y’a aussi des gens qui ont besoin de manger Ă l’heure, besoin que le groupe avance, qu’on se lève tĂ´t, etc.
L’idĂ©e c’est de refaire le chemin des moments de blocage qui nous ont donnĂ© envie de nous organiser plus formellement, avec des rĂ´les et des tâches attitrĂ©es. Notemment Ă travers la gestion du GPS.
Notre groupe a commencé avec une organisation minimale : on était 4 copines à choisir le tracé et à réserver les campings puis on s’auto-organisait sur le moment. L’année d’après, on a décidé d’agrandir le cercle en ouvrant à d’autres potes.
Au début, on faisait le tracé de l’ensemble du séjour avec une copine, mais on ne faisait pas le découpage à la journée. Du coup, assez souvent, il était difficile de permettre à d’autres personnes de prendre le relais. Ceux qui utilisaient Google Maps mettaient la destination et on se retrouvait à faire des tours et détours pour éviter les grosses routes, ou à douter lorsqu’on en prenait une. Il y a aussi beaucoup de problèmes de batteries, de personnes qui n’ont pas de porte GPS.
Du coup, les prises de relais avaient tendances Ă se faire sur un mode intempestif ; les personnes voulaient aider et en mĂŞme temps, prendre en charge le tracĂ©, c’est une pression, les gens sont un peu nerveux. Cette tension a rendu plus difficile la gestion des remarques et des demandes et les copines avaient moins de place pour faire le GPS, car il faut ARRIVER. Et puis s’occuper du tracĂ©, c’est aussi s’occuper de savoir oĂą on s’arrĂŞte manger, trouver un supermarchĂ© et des tables de pique-nique Ă cĂ´tĂ©. Tout ça, c’est beaucoup de responsabilitĂ©s, de charge mentale, beaucoup d’échange avec les gens, s’assurer que tout le monde a eu l’info, y compris celle qui est arrivĂ©e après les autres Ă la pause. MĂŞme si on avait prĂ©vu des binĂ´mes tournant pour faire les courses chaque midi, il fallait toujours prendre un moment pour savoir oĂą avaient lieu les courses et oĂą auraient lieu le pique-nique.
L’été de la canicule 2022 a précipité les difficultés en terme de tracé. À partir de Soulac-Sur-Mer et jusqu’à Bordeaux, les pistes cyclables sont interdites parce que les forêts ont brulé.
Donc, on doit Ă©tudier les nouvelles chaque jour pour savoir quelles pistes sont praticables, qu’elles vont ĂŞtre les tempĂ©ratures ou encore comment organiser les pauses, parce que la chaleur est insoutenable.
Ces rĂ©unions du matin ont tous changĂ© Ă l’organisation. Elles duraient entre 1h et 1h30, en mĂŞme temps que le petit dĂ©jeunĂ©. On regardait les cartes, Ă©changeait autour des logiciels et des applis. Mais aussi, on commençait Ă prendre des rĂ´les tournants, Ă faire un tour de parole pour prendre les dĂ©cisions. Mais quand quelque chose Ă©tait fait et n’allait pas (choix de restau qui ne plaĂ®t pas, pause trop longue alors qu’il fait chaud…) les gens ont pris sur eux avec beaucoup de patience. Il y avait un fort degrĂ© d’interaction entre les gens qui faisait qu’on a tentĂ© de prendre en compte les besoins de chacun.
Au fur et à mesure du séjour, spontanément, des personnes ont pris des rôles comme celui de limiter les pauses, proposer la deuxième partie de soirée, vérifier que personne n’oublie rien après que le groupe se soit arrêté. Les rôles facilitent la place des individus dans le groupe, mais ils permettent aussi de pouvoir charrier gentiment la personne. Dans des relations aussi denses, c’est important de pouvoir se jouer des personnalités fortes, ça fait baisser les tensions et ça peut aussi parfois permettre de dire des choses.
Chaque soir, à l’apéro, avait lieu « la météo » du soir. On faisait le tour de ce qu’on avait aimé ou non. Chaque soir, on discutait de l’heure à laquelle on devait se lever le lendemain. C’était parfois très répétitif…
L’organisation collective, c’est aussi la gestion des leaderships. Il y en a toujours qui prennent leur place parce qu’ils revendiquent des qualitĂ©s spĂ©cifiques. Le problème, c’est quand ces leaderships sont trop fort, ils donnent lieu Ă des pratiques ou des habitudes qui ne permettent plus d’Ă©couter ce que voudraient ce qui parlent moins fort. Le leadership renforce la recherche d’efficacitĂ© qui elle-mĂŞme renforce le leadership. On tourne vite en rond. Par exemple, dans le leadership de la teuf, il faut des bouts en train, des gens qui cherchent la teuf et qui proposent des choses. La question, c’est que d’autres soirĂ©es puissent avoir lieu. Je pense qu’il y a ce type de tension dans la notion des leaderships. Or trouver un Ă©quilibre dans les rythmes, les activitĂ©s, ça signifie parfois trouver des temps de latences dans lesquels les personnes plus effacĂ©es trouvent une place dans la prise de dĂ©cision y compris si celle-ci se fait dans l’urgence.
En tout cas, on essait d’Ă©viter que certains mĂ©canismes de groupe se mettent en place qui cassent les Ă©quilibres. De fait, pour qu’un voyage se passe bien, il faut Ă©viter les remarques dĂ©sagrĂ©ables. Quand on fait en sorte de pouvoir influencer les modalitĂ©s d’organisation, on comprend mieux ce qui pose problème aux autres et on se dĂ©centre un peu de soi-mĂŞme.
Au plaisir de connaĂ®tre d’autres modes de fonctionnement.